Le bonheur au bout des aiguilles !

Les réseaux sociaux leur avaient donné un nouveau souffle. Le confinement les projette sur le devant de la scène. Depuis mars dernier, le tricot, et son petit frère le crochet, connaissent un regain de popularité impossible à prévoir il y a quelques mois à peine. Mues par un besoin bien légitime de se distraire, mais aussi désireuses de gérer l’anxiété occasionnée par le contexte sociosanitaire, partout dans le monde, des milliers de femmes — et d’hommes — sortent fils et aiguilles.

Celles qui tricotent depuis longtemps savent déjà ce que les nouvelles venues découvrent avec étonnement : le bonheur existe encore ! Et il se trouve au bout de leurs aiguilles.

En pleine crise sanitaire, j’ai voulu savoir comment quatre adeptes québécoises ont su se confectionner de véritables îlots de sérénité. Voyons voir !

Diane — Plus calmant que le yoga

Diane l’avoue sans embarras, la crise sanitaire affecte sa santé mentale. « Je suis une personne super anxieuse de nature. Alors, vous pouvez vous imaginer combien la situation qu’on vit présentement m’inquiète. » 

Dernièrement, elle a voulu calmer son angoisse en pratiquant un peu de yoga. Elle a eu beau varier les positions, rien à faire : son cœur battait la chamade. Les respirations profondes ne parvenaient pas non plus à la relaxer.  Ne sachant plus trop que faire, Diane s’est mise à son tricot. Une dizaine de minutes plus tard… Surprise ! Son rythme cardiaque était revenu à la normale.

Pourtant Diane est professeure de yoga et elle sait parfaitement quelles positions adopter pour obtenir un effet relaxant maximal. À son avis, si aligner quelques mailles a réussi à lui rendre sa sérénité alors que même le yoga n’y parvenait pas, c’est parce que le tricot mobilise son cerveau qu’il la force à mettre ses inquiétudes de côté et se concentrer sur son ouvrage. « On entre dans une bulle et on oublie tout le reste. »

La science donne raison à Diane. Ann Futterman Collier[*], professeure agrégée de la Northern Arizona University, s’est penchée sur les effets du tricot et des autres arts textiles sur l’humeur. Dans une enquête réalisée en 2011 auprès de 821 femmes, elle a constaté que le tricot avait un effet significativement apaisant sur ses participantes. Une autre étude[†], menée cette fois par le Mind and Body Institute de la Harvard School of Medecine en 2007, confirme que le tricot réduit sensiblement le rythme cardiaque. Après dix minutes de pratique, le pouls des tricoteuses participant à l’étude se trouvait réduit en moyenne de 11 battements par minute.

Diane tricote actuellement une paire de bas en laine Autorayanteᵐᶜ en vert et violet. « Un p’tit look années 80 » qui sème la joie dans un moment où on en a bien besoin.

Coline — Apprendre et se réaliser

Il y a environ deux ans, Coline a quitté sa Belgique natale pour s’installer au Québec avec son conjoint, Jack. Quand le confinement a été décrété à la mi-mars elle s’est retrouvée sans emploi et avec beaucoup de temps libre. « Je me suis dit que je devrais profiter de cette occasion pour élargir mes connaissances. »

Coline avait appris à tricoter sur des aiguilles droites quand elle était adolescente. Ce printemps, elle a découvert les aiguilles circulaires en même temps qu’une vaste communauté de tricoteuses et une extraordinaire quantité de ressources en ligne. « Je ne savais pas à quel point les tricoteuses se sont implantées sur les médias sociaux. C’est merveilleux. Je découvre une grande variété de styles et de traditions.  Je voyage sans bouger de chez moi ! Par le biais du tricot et du crochet, je me familiarise avec des cultures que je ne connaissais que très peu.  »

Ces jours-ci, notre amie belge mène de front trois projets, dont un chandail qu’elle crochète à partir d’un patron conçu en 1917. « C’est l’occasion pour moi de plonger dans cette époque, de renouer avec les façons de faire des femmes du début du 20e siècle. »  Elle a également découvert le crochet mosaïque et s’affaire à compléter une jolie couverture pour bébé qu’elle compte bien offrir en cadeau à une proche.

 

De nature optimiste et se décrivant elle-même comme une femme d’intérieur, Coline ne souffre pas trop du confinement. Elle perçoit son penchant pour les loisirs créatifs comme un atout qui lui permet de traverser la crise sans jamais s’ennuyer.  « J’ai dans mon atelier de quoi m’occuper pour la prochaine décennie ».   

Viviane — Rompre l’isolement

À 77 ans, Viviane appartient à la classe d’âge la plus touchée par l’actuelle conjoncture sanitaire. Depuis maintenant plus de deux mois, elle reste chez elle et ne reçoit pas de visiteurs. Sa famille lui manque. « J’ai six petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Le petit dernier est né en février. Je ne l’ai vu qu’une seule fois. C’est dur. »

Mais Viviane est une femme pleine de ressources qui ne se laisse pas facilement abattre. Bien calée dans son fauteuil Elran, sa tablette sur les genoux et ses aiguilles à la main, elle s’est attelée au difficile apprentissage d’une nouvelle technique. « J’aime me lancer des défis. Alors, je me suis inscrite à un cours en ligne et j’ai appris à faire des lavettes[‡] au point brioche. J’adore ! »

 Notre pétillante septuagénaire puise une partie de son énergie sur les médias sociaux où elle s’est fait de nombreuses amies. « C’est ma famille ! » Et outre ses lavettes au point brioche, Viviane travaille actuellement à compléter une veste sans manches réalisée au point entrelac. 

Dès le début de la crise, Viviane a ressenti l’urgence d’apprendre de nouvelles techniques. Elle s’est inscrite à tous les cours de tricot en ligne que son emploi du temps lui permettait de suivre. Et il semblerait qu’elle ne soit pas la seule à avoir eu ce réflexe. Dans un article paru le 4 mai, Zoe Wood, journaliste au quotidien britannique The Gardian[§], rapporte que certains détaillants ont dû rapidement s’adapter pour répondre à une demande accrue de tutoriels en ligne. Madame Wood fait état d’un regain de popularité de 400 % pour le tricot et de 140 % pour le crochet au seul Royaume-Uni.

Louise — repenser l’offre de service

Louise est propriétaire avec son mari Patrick de Les Laines Biscotte, les boutiques de laine qui hébergent ce blogue. Ils se trouvent aux premières loges pour constater le récent engouement pour les arts créatifs. Dès le début du confinement, ils ont repensé l'offre de service et ont migré toutes leurs activités en ligne.

« Je l’avoue, la première semaine a été difficile. On perdait nos repères. » Pendant plus de deux mois, toutes les ventes se sont faites sur internet ou par téléphone. Les boutiques sont restées fermées, mais il y avait une personne sur place pour répondre aux demandes téléphoniques et remplir les commandes. L’atelier, où sont teints Les Laines Biscotte et Louise Robert Design, a pu demeurer ouvert, moyennant quelques aménagements pour respecter les consignes sanitaires.

Louise & Patrick tenaient beaucoup à faire leur part dans ces temps difficiles. Outre les cours en ligne à moitié prix, les kits spéciaux et les frais de livraison réduits sur certains produits, ils ont mis sur pied des cafés tricots virtuels gratuits, une formule rapidement adoptée par les tricoteuses. « Les premières semaines, nous avons même eu des participantes qui venaient d’aussi loin que la France! ».

À l’heure actuelle, Louise travaille à la réalisation d’un superbe châle triangulaire au point chevron.

design de châle en point chevron à suivre

Et vous ?

Au moment où j’écris ces lignes, nous amorçons la délicate étape du déconfinement. Dans certaines régions du Québec, les commerces ont déjà ouvert leurs portes, les enfants rentrent à l’école, les travailleurs au bureau, à l’atelier ou à l’usine.

Maintenant que la vie revient lentement à la normale, allez-vous ranger vos balles de laine dans une armoire? Ou les derniers mois vous ont-ils donné, ou redonné, le goût d’un art oublié?

Laissez-nous un message dans les commentaires. Glissez une photo si vous le pouvez. Et racontez-nous vos anecdotes. Ensemble, tenons-nous bien au chaud en ce mois de mai frisquet. Bâtissons des souvenirs agréables malgré ces temps difficiles. Nous en avons bien besoin !

 

[*] Voir la publication suivante : https://www.amazon.co.uk/Using-Textile-Handcrafts-Therapy-Women/dp/B00SLVKYAG (en anglais)

[†] Voir l’article paru sur ce site : http://textileartscenter.com/blog/knitting-as-therapy/ (en anglais)

[‡] Torchons

[§] https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2020/may/04/a-good-yarn-uk-coronavirus-lockdown-spawns-arts-and-craft-renaissance(en anglais)

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